À toi qui porte une vie perdue

À toi mon amie qui hier portait la vie, l’espoir et le bonheur.

Cette grossesse était si désirée, si voulue. Dès que tu vois le test positif, tu te nourris d’information sur ce petit être dans ton ventre. Tu te projettes dans l’avenir, tu commences inconsciemment à penser à l’organisation et les changements que tu dois faire dans ta vie. Tu réfléchis déjà au prénom. Tu suis son développement à travers des applications ou sur des sites internet. Déjà, ce petit être a changé ta vie.

Tu prends rendez-vous avec ton gynécologue. Tu t’y présentes, fébrile, angoissée. Tu vois sur le visage du médecin que quelque chose ne va pas. Je sais, ils prennent toujours du temps pour annoncer ce genre de nouvelles.

Bien sûr, tu sais qu’il y a 25% de chances que cette grossesse n’aboutisse pas, mais aux autres, pas à toi. Tu pries pour que ce ne soit pas ça. Mais malheureusement, tu vois trop bien sur son visage ce qu’il s’apprête à te dire. Il n’y a pas de battement de cœur, plus de vie dans ce petit corps que tu vois à l’écran. À ce moment là, tu vas sentir la terre tourner autour de toi et tout virer noir. Tout semble sombre autour de toi. Ta gorge se resserre pour éviter de pleurer trop fort. Tu ne veux pas être là sur cette chaise froide. Tu veux être dans ton lit, blottie et pleurer comme bon te semble. Les prochaines minutes vont être difficiles, les médecins vont te donner les options pour « expulser » ton bébé. Toi, qui venait voir ton bout de chou que tu portais depuis plusieurs semaines, tu dois maintenant réfléchir en quelques minutes à la façon de t’en « débarrasser ». Je dis débarrasser pas parce que c’est comme ça que tu le vois, mais parce qu’on t’en parle comme si c’était un déchet organique. Tu ne comprends pas tout ce qu’on te dit, tout est flou. Je te conseille de demander une photo de ton bébé, car tu l’as quand même porté ce p’tit bout de chou. Tu me remercieras plus tard pour ça.

Tu dois choisir entre la pilule qui te fera avorter par des contractions, le curetage ou attendre que la nature fasse son travail. C’est cru ce que je vais te dire, mais la pilule c’est comme un mini accouchement sur ton bol de toilette. Tu dois flusher ce p’tit corps. À toi de voir comment tu te sens avec ça. Pour moi, l’idée même était difficile. Les autres options ne sont pas plus faciles, à toi de voir ce qui te mets le plus à l’aise. Fie toi aux médecins, mais SURTOUT à ton instinct.

À la maison, tu dois avertir ceux qui étaient au courant de ta grossesse, que tu n’es plus enceinte. On te dira des tas de messages différents. Prépare toi, car ce sera difficile. À chaque fois que tu auras à t’expliquer, tu te remémoras de son petit corps inanimé à l’écran. Tu te remémoras de ce que tu n’auras pas. On te dira que c’est le destin, que c’est sûrement mieux comme ça, que cet enfant aurait peut-être été très malade, qu’il vaut mieux que ce soit maintenant que plus tard. Tout ça, tu le sais déjà, mais tu ne veux pas l’entendre. Pas là, pas maintenant.

Mon amie, j’ai tant de choses à te dire mais rien ne sors de ma bouche. Je sais que rien ne pourra faire disparaître ta peine, je ne pourrai pas te ramener ton bébé. Moi je te prendrais dans mes bras pour que tu pleures un bon coup. Je te dirais que je suis de tout cœur avec toi, que tu n’as rien fait de mal, que ce n’est pas à cause de toi. Que ton bébé est maintenant un ange et qu’il t’attendra au paradis. Je sais que ce que tu vis est un deuil. Ce bébé n’était pas encore né, mais tu l’aimais déjà. Et maintenant ce que tu vis est un deuil.

Tu vas essayer de comprendre, chercher du soutien de ceux que tu connais qui ont vécu la même chose. Vite, tu te rends compte que les gens n’en parlent pas beaucoup, pas ouvertement. Que même si telle ou telle personne est passée par là, jamais ils n’ont parlé de toute cette peine et de cette douleur. Surtout, ne te sens pas lâche de te sentir triste. Tu as le droit d’avoir de la peine.

Ce bébé tu l’as porté plusieurs semaines, tu l’as aimé et il t’attendra au paradis.

Tu vas savoir qu’avec le temps, on oublie jamais. La cicatrice reste bel et bien là. À chaque fois qu’on te demandera combien de grossesses tu as eu, il faut te rappeler que cet être était bien là au chaud dans ton ventre. L’idée que ton bébé t’attend dans un autre monde est la seule chose qui t’apportera​ du réconfort.

Mon amie, s’il-te-plait parle de ce qui t’arrive, car tu aideras peut-être une femme de ton entourage à surmonter sa peine et à se sentir moins seule.

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