« Toi, la maternelle, tu n’en as pas besoin? Directement à l’université ? »
Voilà comment mon garçon, 4 ans à l’époque, a été apostrophé dans un corridor de l’Université de Montréal, par une jeune étudiante dans la vingtaine. Trop timide pour répondre, il s’est contenté de sourire de fierté, d’être dans « l’école des grands ».
La fin de l’année 2019 s’approche déjà et j’anticipe avec fébrilité la fin d’une longue décennie d’études universitaires. Puis c’est là que j’ai réalisé que mes enfants ne m’ont jamais connu autrement qu’en tant que maman-étudiante.
Je pourrais vous écrire tous les obstacles, toutes les difficultés que nous avons surmonté, ma famille et moi, pour me permettre d’étudier le jour, le soir, la fin de semaine, à temps partiel ou à temps plein… mais vous les connaissez déjà. Vous avez déjà une bonne idée en quoi consistent ces difficultés. Laissez-moi donc vous partager les beaux moments, ceux qui resteront gravés dans nos mémoires longtemps.
Jusqu’à l’âge de trois ans, mon grand m’a vu souvent à travers la caméra du téléphone le soir. Après la naissance de son petit frère, j’ai pu étudier le jour. Profitant d’une journée où je pouvais laisser le petit à la halte-garderie, j’ai ramené mon grand pour la première fois à l’Université de Montréal. Nous en avons profité pour faire un petit tour du campus. Venant directement du monde de la « garderie en milieu familial », son premier commentaire fut assez singulier :
« Maman, ils sont où les lits ? Tu sais, ceux pour le dodo de l’après-midi ? »
Un petit mot d’enfant, peut-être banal à première vue, semble s’être transformé en prophétie, puisqu’on m’a appris qu’il y a présentement dans certaines bibliothèques, des chaises longues, invitant à la relaxation. Merci, mon grand!
Pour compenser la sieste, il a passé de longs moments sur la pelouse en face du pavillon principal, à admirer le paysage, se sachant si haut sur la montage. Juste au moment où nous allions partir, une surprise l’attendait derrière lui : son éducatrice, qui étudiait elle aussi, laissant une partie de la journée sa garderie au soin d’une employée, était venue lui faire la bise. Il a été tellement surpris, qu’il en riait encore des heures après.
Jusqu’à tout récemment, je n’avais pas réalisé à quel point cette visite et cette rencontre ont eu une influence sur sa vision du monde. Aujourd’hui, il sait qu’il peut y arriver, jusqu’à l’université : il le souhaite!
Pendant tout ce temps, je me suis sentie coupable de m’absenter si souvent pour aller aux cours, étudier, faire des travaux, alors que j’aurais pu passer du temps avec ma famille. Son absence de peur et d’anxiété les premiers jours de maternelle m’a fait comprendre que je l’avais déjà initié à la dynamique des classes d’école. Je l’ai ramené souvent en classe avec moi. La première fois, il a levé la main lorsque le professeur a posé une question. Je remercie d’ailleurs mes collègues d’avoir ri discrètement de son geste.
Pour toutes les fois suivantes, il a pris l’habitude de ramener du coloriage, donnant quelques pages en cadeau à mon professeur, en guise de remerciement. Leur étonnement et leur gratitude ont toujours donné beaucoup de plaisir à mon grand, se promettant à lui-même de faire mieux encore la prochaine fois. Maintenant, je suis un peu déçue pour lui, les études seront bientôt finies et il devra patienter encore plusieurs années avant de pouvoir y retourner.
Mon petit, quant à lui, n’a pas eu encore l’occasion d’accompagner Maman à l’université. Par contre, il a reçu de cette expérience quelque chose de tout aussi précieux : la passion des bibliothèques et des livres. Dans le cadre de mes études, j’ai eu souvent à me déplacer en bibliothèque et j’ai proposé de le faire en famille, étant donné la présence croissante des laboratoires de création en bibliothèque (FabLab) et les superbes aménagements des sections jeunesse. Sans m’en rendre compte (encore une fois), j’ai transmis la piqûre de la lecture à mon petit. Toutes les mamans savent que la capacité d’attention des plus jeunes est normalement assez limitée. Je suis toujours étonnée de constater que la lecture fait partie des exceptions, et de trouver mon petit, assis sagement, UNE HEURE PLUS TARD, encore en train de « lire », près d’une pile de livres presque aussi haute que lui.
Je n’ai pas étudié tout ce temps pour rien : je cherchais à atteindre un but précis, trouver un emploi dans le domaine qui me plaisait depuis longtemps, apprendre ce qu’on attendra de moi sur le marché du travail, avoir une belle carrière et supporter ma famille financièrement. Ce but exigeait des sacrifices, évidemment. Passer moins de temps avec les enfants en a fait partie. Par contre, j’ai quand même pu jouer mon rôle de parent, et leur transmettre le goût de l’apprentissage et des découvertes. Quand ces études seront finalement terminées, diplôme en main, sur la scène, c’est l’impact positif sur mes enfants dont je serai le plus fière!
« Oui mon grand, tu pourras essayer ma toge, encore une fois…»