8 mai 2014, 15h00 – Montréal
Je sors du bureau de l’acupuncteur et j’ai une lueur d’espoir; le bouchon muqueux est tombé.
41,3 semaines de grossesse.
Je suis en phase de latence, avec des contractions peu efficaces et dérangeantes qui sont présentes depuis un mois déjà. Mon col est ouvert à 3 cm, mais rien. Bébé reste au chaud.
19h30
Je donne le bain à mon fils aîné, je l’endors et m’écrase sur le sofa.
C’est le calme plat, aucune contraction en vue. Ma sage-femme appelle dans la soirée pour me dire que lundi matin, dans 72 heures, je devrai me présenter à l’hôpital pour vérifier la quantité de liquide amniotique dans mon ventre. Elle me dit aussi que demain matin, elle sera en vacances, ce sera le relai de sa partenaire avec qui elle travaille. C’est elle qui assistera mon accouchement.
Je pleure.
Je me sens impuissante.
Dans ma tête les idées se bousculent.
« J’ai accouché une première fois en maison de naissance à 39SA, c’est un deuxième bébé, il devrait arriver plus tôt. » « Cette fois-ci j’ai planifié un accouchement à la maison, et ce bébé n’en fait qu’à sa tête, il veut m’amener à l’hôpital pour qu’on me déclenche, il ne sortira jamais !!! »
Je m’endors d’épuisement et de colère dans le salon.
23h45
Je me réveille en sursaut, mon ventre est dur comme une roche, j’ai des pertes sanguines.
Je suis folle de joie!
Je reste accroupie sur mon banc de naissance pendant environ 3 heures de temps, dans ma bulle.
Je perds la notion du temps, à faire des vocalises et de la visualisation. Les contractions sont aux deux minutes, mais je n’ai pas mal. Je ressens des vagues, chaudes et brulantes, déferler sur mon abdomen, elles viennent puis elles repartent…
Je sais que cette fois-ci, c’est vrai, je suis en train d’accoucher.
J’agrippe mon téléphone pour appeler Natasha, en chuchotant en plein milieu de la nuit, entre deux contractions.
« Allo… je crois que tu peux t’en venir…»
La maison est plongée dans le noir.
Natasha ouvre doucement la porte de notre demeure, sa main froide sur mon front me ramène à la réalité.
Elle allume les bougies, installe son matériel et écoute le cœur de mon fils in utéro.
« Tout va bien. As-tu pensé à manger? »
Mon col est ouvert à 7 cm, effacé à 90%.
Je le savais, mais ça fait du bien de l’entendre. Je décroche un sourire, je me sens tout à coup puissante. Je grignote des dattes et du fromage. L’eau me fait un bien fou. J’en bois un litre d’un coup.
Elle me propose d’aller dans la chambre et de réveiller mon mari. (Bien sûr, il n’a eu connaissance de rien!)
On prépare le lit avec des serviettes et une bâche protectrice. Je décide toutefois de rester au sol, accrochée sur le rebord du matelas. Cette position me fait énormément de bien.
5h00
«PLOC!»
Les eaux venaient de rompre sur mon plancher. Le son a été si puissant dans le calme de la nuit que mon fils Malik s’est réveillé.
Il nous a rejoint dans la chambre, m’a fait un câlin, a donné un bisou à mon ventre et est allé dans la cuisine manger avec son papa.
J’en ai eu les larmes aux yeux. Je me suis dit « Mon amour, tu seras bientôt grand frère et dans ta petite tête de 19 mois, tu ne comprends pas encore ce que ça implique, pardonne-moi à l’avance. »
6h00
Je sens pousser, mais quelque chose cloche. Ça bloque, la progression dans le bassin ne se fait pas. Natasha examine.
(Elle me le dira seulement après l’accouchement, mais mon fils était en OS : Au lieu d’avoir le menton collé sur sa poitrine, la tête du bébé en Occipital Sacré est rejetée vers l’arrière collé sur son dos, il présente donc la partie la plus large de son crâne et ce diamètre dépasse celui du bassin maternel, ce qui compromet le passage. Le travail par voie basse est donc plus compliqué.)
J’essaie des positions qui jouent contre la force de la gravité, quatre pattes, squat, debout. Rien. Fiston ne descendait pas.
« Jacinthe, je te laisse 15 minutes, ensuite on devra penser à un transfert, le cœur de ton bébé est fatigué. »
NONNNNNNNNNNNNNN, Impossible! Mon côté animal prend le dessus.
Je me suis mise à pousser entre les contractions. Il DEVAIT sortir, ici et maintenant.
Quatre minutes plus tard, je sens sa tête, son dos, ses fesses puis ses jambes glisser, tout doucement, hors de mon ventre.
Mon fils cadet, cette petite boule de 7,5lbs, venait de venir au monde sur notre lit, par ma propre force, dans mes propres mains.
Il n’a pas pleuré.
Je n’oublierai jamais ce moment.
Il me regardait avec ses yeux noirs perçants l’air de dire « …mais, qu’est-ce que je fais là? »