Le bilinguisme, un atout dans son jeu: un livre coup de cœur

La survie des langues minoritaires au Québec est rarement assurée au-delà de la deuxième génération. Selon statistiques Canada, si 90% de la première génération d’immigrants de Montréal parle l’espagnol ou l’arabe à la maison, le nombre chute à moins de 5% pour la deuxième génération. C’est aussi ce que nous rappelle l’orthophoniste Agathe Tupula Kabola dans son livre, le bilinguisme un atout dans son jeu, à l’adresse des parents souhaitant donner une éducation bilingue ou multilingue à leurs enfants.

Des chiffres qui m’ont fait l’effet d’un poignard dans le cœur.

Ce livre, je l’ai d’abord lu d’un seul trait, puis une deuxième fois en prévision de la rédaction de cet article, surligneur et stylo à la main. Ce détail n’a d’ailleurs pas échappé à l’attention de ma fille de deux ans, qui a pris soin d’ajouter ses propres « annotations » sur diverses pages, avec le plus grand sérieux.

L’auteure, elle-même née au Québec d’un père congolais, s’attriste du fait que ce dernier n’ait pas su lui transmettre sa langue maternelle, le tshiluba, et souhaite donc nous aider, nous les parents, à être mieux outillés.

Difficile de rendre justice en seulement quelques mots à la richesse de ce petit guide qui donne l’heure juste au sujet de plusieurs mythes, est rempli de conseils utiles, rassure, motive, instruit et secoue en même temps! Car si l’on veut que nos enfants parlent plusieurs langues, cela demande des efforts, je ne vous apprendrai rien sur ce point.

Le livre aborde notamment la question des enfants ayant des troubles de langage (avec des indices permettant de les détecter chez les enfants bilingues), celle des nouveaux arrivants qui apprennent le français et celle des parents qui veulent apprendre une langue minoritaire à leurs enfants nés au Québec. Il comporte de plus un magnifique chapitre sur les bienfaits du bilinguisme.

Chez nous, on se soucie de la transmission d’une langue minoritaire, en l’occurrence l’arabe, et voici un bref aperçu de ce que l’auteure partage à ce sujet :

  • Il n’est pas nécessaire d’assigner une langue à un parent ou à un contexte particulier, sauf pour s’assurer d’un temps d’exposition suffisant à cette langue, comme dans le cas des familles mixtes où le parent qui ne comprend pas la langue minoritaire devra parfois prendre sur lui et accepter d’être un peu à l’écart de certaines conversations, le cas échéant.
  • Passer d’une langue à l’autre dans une même conversation….c’est pas grave!
  • Un enfant a besoin d’être exposé à une langue au moins 30% de son temps d’éveil pour espérer pouvoir être considéré bilingue. Si un enfant parle trois langues ou plus, il ne sera pas forcément trilingue mais peut-être plutôt « diglossique », c’est à dire qu’il ne les maitrisera pas toutes complètement, mais utilisera chacune d’elles dans des domaines particuliers. Pas si mal quand même!
  • Il est essentiel de valoriser la langue minoritaire. L’enfant doit sentir que cette langue est respectée par ses parents et par d’autres, car elle ne le sera pas forcément dans la société majoritaire. Un point qui m’a particulièrement touché, à l’heure où parler arabe en public peut dans certains cas avoir des conséquences assez fâcheuses.
  • On n’apprend pas une langue dans le simple but d’entrainer son cerveau (et bénéficier au passage de tous les avantages cognitifs que cela apporte). En d’autres termes, un enfant n’apprendra pas une langue s’il n’en voit pas l’utilité. Chez nous par exemple, la langue minoritaire est la langue de communication avec les grands-parents, le papa et une multitude d’oncles et tantes. C’est aussi la langue…du Coran.
  • Faire semblant de ne pas comprendre son enfant s’il ne s’adresse pas à nous dans la « bonne » langue? Moi qui voyait initialement cela comme une simple petite méthode visant à instaurer une discipline de base saine, la lecture du livre m’a convaincu qu’il est avant tout important de privilégier l’expression et le développement du langage quel qu’il soit, sans négliger l’aspect affectif et l’importance de maintenir un rapport parent-enfant qui soit spontané.
  • La langue c’est aussi une affaire de cœur, d’où l’importance que l’utilisation d’une langue ne se limite pas à donner des consignes ou à se fâcher.
  • Il est souhaitable de favoriser les périodes d’expositions prolongées de quelques heures, car l’enfant a en général besoin d’un temps d’acclimatation lorsqu’il passe d’une langue à une autre. Une fois à l’aise, il ira explorer de nouveaux « niveaux ».
  • Visites à l’étranger et aux membres de la famille, construction d’un réseau d’amis de même origine linguistique, activités communautaires dans la langue minoritaire, consultation de professionnels de la santé qui parle la langue minoritaire, livres, films, chansons…les expositions doivent être nombreuses et variées. Chez nous par exemple, nous nous sommes récemment mis à la recherche d’une babysitter arabophone afin de nous donner un petit coup de pouce. Je sais également que des mamans hispanophones de mon quartier organisent régulièrement des rencontres de jeux avec leurs enfants dans le but de multiplier les occasions de parler espagnol.
  • L’acquisition du bilinguisme prend du temps. Plusieurs années sont nécessaires pour que les effets soient durables et les résultats ne sont pas toujours immédiats. Patience, patience, patience.
  • Les enfants bilingues ont quelque chose en commun : ils sont tous différents. Parmi la multitude d’éléments qui peuvent avoir un impact sur l’acquisition du bilinguisme, certains sont hors de notre contrôle, comme la personnalité de l’enfant.

Vous l’aurez compris, j’ai été conquise par ce livre, tout en nuances et réaliste, que je vois également comme un véritable outil de sensibilisation à la beauté (et pas seulement à l’utilité) du bilinguisme et de ses multiples facettes, car  « Une langue différente est une vision de la vie différente » (Federico Fellini).

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