Mama au pays des autres

Hier soir, je devais faire une course pour ma mère. Lui acheter un truc dont elle avait besoin. Grâce à une application mobile, j’ai pu lui parler en direct et même lui montrer (grâce à l’appareil photo de mon cellulaire) les couleurs disponibles afin qu’elle choisisse par elle-même.

En rentrant à la maison, je repensais à elle et aux moyens de communication dont elle disposait pour parler à sa mère et à sa famille dans les années 1970 alors qu’elle n’avait que 22 ans, seule dans un pays des autres  — ou « bled el ness » comme elle l’appelle — à des milliers de kilomètres de chez elle. Il lui fallait prendre rendez-vous avec le propriétaire du magasin général du village qui, lui, possédait un téléphone. Un appel pour demander au type d’avertir ses proches et un autre appel pour leur parler.

Le tarif des communications était tellement élevé que parfois il lui aurait coûté moins cher de prendre l’avion que de téléphoner deux ou trois fois par mois, j’exagère à peine. Alors, pour économiser, elle écrivait des lettres. Dix jours pour que la lettre se rende; dix autres pour espérer une réponse….

Quand j’ai appris à lire l’arabe quelques années plus tard, je me rappelle lui avoir demandé pourquoi elle commençait toujours ses lettres par Bismillah el Rahman el Rahim ( Au Nom de Dieu Le Clément, Le Miséricordieux). Elle me répondait simplement qu’il est toujours bien d’invoquer Dieu lorsqu’on commence quelque chose.

Je pense à tout ça et je me dis à quel point les femmes immigrantes de sa génération ont sacrifié. À quel point elles ont été seules. À quel point elles ont été résilientes. Fortes. Courageuses.

Aujourd’hui, ma mère considérée comme une analphabète (en français) sait utiliser Skype et Viber. Je raconterai un jour comment elle l’a appris, mais pour le moment Madame m’envoie des photos de ses plantes et de la mer. Elle ne le dira pas, mais je sais qu’elle est fière d’elle. Je sais aussi combien sa vie aurait été plus facile si de tels moyens technologiques avaient existé avant. Mais aujourd’hui, une chose est certaine : l’admiration que j’ai pour elle et d’autres comme elle n’a pas d’égal !

Sonia Djelidi

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