Je ne sais plus à quel âge j’ai réalisé que j’avais quelque chose de « plus ».
Ça a commencé très jeune, avec la sensation que les yeux de mes interlocuteurs et interlocutrices changeaient, brillaient ou se focalisaient sur moi lorsque je disais être à la fois martiniquaise et congolaise. Je devais peut-être avoir six ans, et, durant cette période, j’étais si fière de pouvoir le placer comme quelque chose de précieux et d’inhabituel dans une conversation. Bien sûr, je n’ai compris que, bien plus tard, le lien avec ma couleur de peau. Avant ça, je n’y pensais pas.
Être dans le creux de ces cultures, c’était manger du saka saka fait par papa, du columbo fait par maman ; écouter autant de vieux zouk et de kompa que de rumba au son crépitant. C’était sentir l’huile de palme bouillante et la crème de coco écrasée entre les paumes chaudes de ma mère. Au même âge, je me souviens très nettement des séances de coiffage où les pleurs s’éteignaient devant un chocolat bien mérité, les tresses serrées, et les fesses endolories à force d’être assise entre les jambes de ma mère. Mon père n’arrêtait pas de vanter comment ma mère, en visitant pour la première fois Brazzaville, avait impressionné leur entourage car elle se nattait toute seule. « Il suffit de connaître ta tête », m’a-t-elle toujours dit. « Tu le sens quand le tracé est au milieu ». Et effectivement, j’avais toujours ce petit frisson sous la dent du peigne, chargée de tracer la raie parfaite. « C’est bon ? C’est au milieu ? » « Non, pas tout à fait », répondais-je avec le doigt au milieu du front, mon ongle servant de point de fuite, de marqueur symétrique.
Ce sont des souvenirs comme ceux-là qui se heurtaient aux insultes à l’école. Pas seulement sur mes cheveux, bien sûr : tout devait y passer. Le nez, les lèvres, puis la poitrine à l’adolescence. Mais je me souviens précisément de cette fois où je suis rentrée chez moi, en demandant à ma mère de me changer de coiffure, après des moqueries. Ma mère a refusé, plaidant que le regard des autres ne devait pas me définir. Et aujourd’hui, cette même petite fille assume son afro dans la rue.
Je crois que Comme un million de papillons noirs est l’héritier de tout cela ; qu’Adé apprendra à d’autres petites filles par son histoire pourquoi elles n’ont pas à rentrer chez ellse en étant tristes, que ce livre entre les mains des petits et grands éduquera davantage, parents comme enfants, enseignants comme éditeurs. Penser son histoire, la confronter à d’autres regards, la voir prendre vie sous des couleurs, était un sacré travail. Mais j’étais bien accompagnée et je savais à quoi devait ressembler ce livre que j’aurais aimé lire plus jeune.
Il y a quelques jours, je lisais encore un article sur la manière dont Toni Morrison a forgé une nouvelle génération d’auteurs noirs ; c’est, avec cette même auteure que j’ai découvert des personnages qui me ressemblaient, et c’est à partir d’une de ses citations que l’histoire d’Adé est née. D’une certaine manière, j’aime imaginer que ces évènements se répondent au sein d’un cycle, où les choses se font écho. Et j’aime penser qu’il n’appartient qu’aux autres d’y prendre part…
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L’auteure publie Comme un million de papillons noirs, un album jeunesse pour les 3-9 ans qui développe l’empathie et l’estime de soi, empli de poésie et d’esprit positif. Décrits comme « sauvages », les cheveux afro naturels sont moqués et les fillettes ont du mal à les accepter, voire simplement à se trouver belles avec. Ce second livre des éditions Bilibok est écrit par un casting 100% féminin : le texte est de Laura Nsafou, alias Mrs Roots, militante et auteure afroféministe. Il est illustré par Barbara Brun, qui a déjà plusieurs titres chez de grands noms de l’édition jeunesse à son actif. Vous pouvez vous le procurer dans le cadre de la campagne de socio-financement, par ici! Aussi, participez au concours de coiffure dans l’espoir de gagner l’album 🙂
Bonjour,
Peut-on se procurer ce livre au Québec, Canada.
Merci
Josiane