L’instant où je suis devenu papa

Des récits d’accouchements, nous en avons tous entendu. Parfois, c’est rapide, parfois c’est long, parfois tout se passe à merveille, parfois moins, et parfois pas du tout… Ce que la plupart de ces récits ont en commun, c’est qu’ils sont souvent racontés du point de vue de la mère. Toutefois, à l’arrière-scène, il y a le papa…

Il est certain que je n’aime pas voir ma femme souffrir, et encore moins la voir subir les douleurs de l’accouchement, pour ensuite ne pas pouvoir profiter du bonheur de tenir son enfant dans ses bras, mais le fait que ma femme ait dû subir une césarienne d’urgence à cause de complications a été la meilleure chose pour moi en tant que père.

Toutefois, à l’arrière-scène, il y a le papa…

À cause de la soudaineté de la décision de dépêcher ma femme vers une salle d’opération, je n’ai pas eu le temps de comprendre ce qui se passait. La docteure a déclaré que le bébé était en difficulté (ma fille est en difficulté !) et presque aussitôt, tout le personnel quittait la salle à grande vitesse, entraînant mon épouse au loin.

L’infirmière qui était restée derrière m’a alors donné une combinaison stérilisée faite en papier-mouchoir (je n’ai, jusqu’à ce jour, aucune idée de la matière exacte dont elle était faite, mais ça avait la solidité d’un papier-mouchoir) pour que je puisse venir dans la salle d’opération. Alors que je courais en titubant, parce que le suit était une taille trop petite, en tentant de zipper la fermeture éclair en plastique cheap, l’infirmière courrait à côté de moi en mettant du tape (aussi collant et efficace que du tape vert à peinture) sur les trous vu que ça déchirait de partout. J’aurais ri de la situation en temps normal, mais la peur me nouait tellement les tripes que j’aurais probablement vomi sur les petits souliers blancs de l’infirmière si j’avais essayé.

Comme il s’agissait d’une procédure d’urgence, il n’y avait finalement même pas assez de temps pour que j’assiste à l’opération, alors ils m’ont parké dans une salle d’attente vide un étage plus bas. Assis sur une petite chaise en bois laite, j’attendais, le suit tout déchiré que je ne pensais même pas à enlever, me faisant plein de scénarios dans ma tête.

Au bout d’une heure, je n’en pouvais plus d’attendre seul et de me ronger les sangs, alors je me suis mis en quête d’une infirmière pour obtenir de l’information. Au loin, j’ai aperçu un laboratoire et quelqu’un semblait y travailler. Je me suis donc approché, et, osant interrompre l’intense concentration de la femme qui ne m’avait pas entendu arriver, je lui ai demandé s’il était possible pour elle de contacter quelqu’un pour savoir ce qui se passait avec la césarienne. Un peu confuse, mais très serviable, elle s’est empressée de téléphoner au poste de garde. Il y avait bien une raison pour laquelle la salle était vide et que l’étage au complet semblait abandonné, avec des néons qui flashaient sinistrement (me rappelant un mauvais film d’horreur) : l’infirmière m’avait parké au mauvais étage et le personnel médical, deux étages plus haut, était en train de me chercher partout et pensait que j’avais pris la poudre d’escampette…

L’opération s’était bien passée, grâce à Dieu, et ma femme et ma fille allaient bien. J’ai enfin pu recommencer à respirer normalement.

Se faire confiance

Comme ma femme est restée alitée pendant plusieurs jours suite à la césarienne, c’est moi qui ai dû prendre le contrôle total de la situation. Je gérais les visiteurs, je m’occupais de tout le côté administratif, je m’occupais de ma femme et de ma fille. En plus, comme je ne suis « que » le papa, j’avais le privilège de dormir sur le fauteuil-lit luxueux (pas le sofa-lit, j’ai bien dit fauteuil-lit — les autres pères comprendront ce que je veux dire par là !)

Rendu là, vous allez me dire : « ce n’était pas censé être “la meilleure chose pour moi en tant que père” ? » J’y viens.

À cause de la césarienne (ou grâce à elle ?), c’est moi qui ai vu la petite en premier, c’est moi le premier qui l’ai prise, qui l’ai vue pleurer, qui lui ai changé la couche, qui l’ai emmailloté, c’est moi qui ai assisté à sa première douche… Ça ne serait pas nécessairement arrivé lors d’un accouchement « régulier ».

On a beau s’imaginer comment on va se sentir et se faire des scénarios, on ne sait jamais comment on va réellement réagir en voyant son enfant pour la toute première fois. Justement, quand j’ai vu ma fille à la pouponnière j’étais plein d’appréhension et ma femme n’était pas là (elle ne pouvait pas le faire à ma place ou m’encourager). J’étais rempli de doutes, et elle, elle avait l’air si petite, si fragile…

C’est à ce moment-là que l’infirmière, voyant mon hésitation, me l’a mise « de force » dans les bras en attendant de préparer la douche (je remercie cette infirmière de tout cœur pour cela). Cette petite poussée dans le dos, qui n’aurait sûrement pas eu lieu si ma femme avait été éveillée, a fait toute la différence du monde pour moi. Elle était là, MA fille, dans MES bras. Elle était belle, elle sentait bon. Je lui ai murmuré l’Adhan et l’Iqama* à l’oreille et j’ai cessé d’avoir peur. J’étais son père. C’est tout ce que j’avais besoin de savoir.

Tout ce que je peux te conseiller, futur papa, est de te faire confiance, que c’est en toi (contrairement à ce que la société nous dit) et que, même si c’est difficile, nous, les pères, sommes tous passés par là et que, bien que cela fasse peur, ça nous a rendus plus forts.

J’étais son père. C’est tout ce que j’avais besoin de savoir.

C’est une mince consolation pour l’accouchement chaotique qu’on a vécu, peut-être, mais je n’échangerais cet instant pour rien au monde !

Pierre Abdullah

* Prières pour accueillir un nouveau-né à la vie

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