J’aime le Québec pour la simple et bonne raison que c’est un endroit tellement multiculturel qu’indéniablement on apprend à vivre ensemble et à connaître les fêtes religieuses et culturelles des quatre coins du monde. On en voit de toutes les couleurs. Cette réalité prend d’autant plus d’importance et de signification lorsqu’on décide de fonder une famille avec quelqu’un qui ne partage pas les mêmes origines que nous. Par la force de l’amour, on célèbre nos similitudes et on accueille avec curiosité les différences. J’aime le Québec parce qu’ici j’ai fondé ma petite famille multiculturelle.
Je suis née en Roumanie et j’ai immigré au Canada à l’âge de 14 ans. J’ai rencontré mon mari péruvien il y a 11 ans et cela fait plus de 5 ans qu’on est mariés. Il avait immigré ici, pour sa part, à l’âge de 11 ans. Inutile de dire que nous avons tous les deux gardé beaucoup de souvenirs, de traditions et de coutumes de notre pays d’origine. Nous avons maintenant un merveilleux petit garçon de 20 mois et nous l’élevons dans notre propre mélange roumano-péruvien.
Il reste que le mariage ne se fait pas seulement entre deux personnes, mais entre deux familles. Chacune apporte son bagage de traditions, de coutumes, de nourritures et de façons de penser. Certes, nous faisons parfois des compromis, mais tout se fait dans l’harmonie et la bonne entente. Nous avons peut-être la chance aussi d’avoir des parents qui sont ouverts d’esprit. Ils accueillent avec curiosité, respect et enthousiasme les traditions de l’autre culture. Les mots d’ordre chez nous sont respect et justice. Nous réunissons régulièrement nos deux familles aux évènements importants comme les anniversaires et les fêtes chrétiennes comme Noël et Pâques. Heureusement que la religion n’est pas un grand obstacle chez nous. Je suis Orthodoxe et il est Catholique, mais nous partageons les mêmes croyances et les mêmes grandes fêtes, avec quelques exceptions près.
Pâques vient de passer pour les Catholiques, mais les Pâques orthodoxes viennent tout juste d’être célébrées cette fin de semaine. C’est une des différences entre les deux branches du Christianisme : les Orthodoxes fêtent Pâques une semaine après les Catholiques. Demandez-moi pas pourquoi! Une question de calcul et de calendrier je pense. Toutefois, quelques ans les deux se rejoignent et sont célébrées en même temps. Quand cela arrive, chez nous, on aime réunir les deux familles… et les deux cultures, car nous ne fêtons pas Pâques de la même façon. La famille de mon mari attribue beaucoup d’importance au Vendredi saint et ne mange généralement que du poisson, alors que dans ma famille le Dimanche de Pâques est sacré. Il y a une messe le samedi à minuit où on attend de recevoir « la lumière » avec un cierge devant l’église, souvent dans le froid du printemps québécois, et le dimanche c’est réservé pour un grand festin en famille et on y mange généralement de l’agneau. On a aussi une grande tradition entourant les œufs de Pâques. On en bouille une dizaine et on les peint de différentes façons et de différentes couleurs. La plus naturelle est avec des pelures d’oignons. Les œufs deviennent d’un rouge cuivre très beau (voir photo ci-dessous).
S’ensuit la casse des œufs où on casse délicatement l’extrémité des œufs entre 2 personnes en disant « Le Christ est ressuscité ». L’autre personne répond « C’est vrai qu’il est ressuscité ». On rit beaucoup pendant cette coutume parce que le but est de garder son œuf intact. Ça signifie la chance.
Ainsi, chaque année à Pâques, on mange du poisson le Vendredi saint et on casse des œufs le Dimanche de Pâques. Et lorsque Pâques coïncide et qu’on est les deux familles à table, je cuisine de l’agneau au style péruvien et je fais bouillir au moins dix œufs. Je me rappelle mon beau-père en 2014 et l’enthousiasme sur son visage quand il s’est empressé d’écrabouiller l’œuf que ma mère lui tendait. Il n’avait pas bien compris le principe de « frapper délicatement » je crois ou bien il voulait se venger pour son œuf cassé. Tout le monde est parti à rire. Ou bien l’année dernière lorsque c’était le premier Pâques de mon fils et mes parents l’ont initié à la « casse des œufs » sous l’œil amusé et enthousiaste de mes beaux-parents. C’était un moment magique. Ou encore cette année, lorsque mon fils était assez grand pour enfiler sa chemise typique roumaine envoyée par sa grand-tante de Roumanie et en sortant de la maison on lui a mis sa tuque en laine du Pérou sans oublier que ma mère nous a servi du Inca Kola (boisson gazeuse typiquement péruvienne) pour son festin du Dimanche de Pâques.
Tous ces exemples, et bien plus encore, témoignent à quel point on peut bien vivre ensemble ici, au Québec, peut-être mieux qu’ailleurs, car la réalité fait en sorte qu’on fonde des familles plus que multiculturelles et même si on partage la même religion, on s’enrichit des traditions de l’autre et on enrichit par le même fait l’enfance et la vie de nos enfants culturellement modifiés. Pour moi, la transmission de ces belles coutumes à mon fils est tellement importante et on le fait, mon mari et moi, d’une façon cohésive, naturelle et sans rigidité tout en respectant les croyances de chacun. Je crois qu’il faut aussi une bonne dose d’ouverture d’esprit et d’amour. Mon mari aime dire « Hristos a înviat » avant de casser un œuf et j’aime cuisiner un ceviche de temps en temps pour souligner le Vendredi saint. Je suis également très reconnaissante pour la grande famille dont je fais partie, car la plupart du temps tout le monde y trouve son compte dans nos célébrations familiales culturellement modifiées.
Note : Selon Antidote, « Mettre tous ses œufs dans le même panier » veut dire « placer tous ses efforts, tous ses moyens dans la même entreprise, au risque de tout perdre ». Je trouve que ce dicton résume bien ma vie, car je consacre toutes mes ressources à ma petite famille en essayant de transmettre les coutumes, les souvenirs et les fêtes culturelles à mon fils au risque qu’il ne les perpétue pas. Au moins, j’aurais essayé et on aura bien ri!