Assise sur mon majestueux trône, le sourire à m’en décrocher la mâchoire, je salue au loin, digne d’une reine, la foule qui s’amuse plus que moi, accoutrée aux goûts de toutes, surtout des matantes qui me regardent avec adoration. Ça rayonne de partout. Ah que je suis belle à voir!
On s’extasie avec des « Oh! », des « MashAllah! » et des « Selfie! ». À moi de jouer mon rôle en acceptant, humblement, et avec grâce, on est une reine ou on ne l’est pas, la pluie d’aimables compliments. Telle une figurine, je suis clouée dans mon caftan d’une lourdeur et d’une longueur faramineuse, raidie par mon hazam (ceinture) et figée par mes talons qui peuvent me tuer au moindre faux; je n’ai pas d’autre choix que de m’asseoir gentiment sur mon somptueux trône (gracieuseté de la Negafa (l’habilleuse)) et de taper bêtement les mains au rythme de la musique.
La culture fait en sorte que la personne d’honneur ne s’amuse pas. Oh non! Elle est bien trop sacrée pour ça. Ornée de ses meilleures parures, elle incarne la fierté culturelle. Elle est adulée, complimentée, félicitée et enviée même. Honte à elle si elle fait le clown sur la piste de danse ou si elle ose s’empiffrer au buffet. Ce n’est pas parce que tu es fêtée que tu es là pour avoir du fun.
Je reste donc dignement assise, le dos toujours bien droit et les abdos bien contractés (je n’aurai plus besoin d’abonnement au gym après cette soirée), résistant à la pesanteur de mon si joli caftan. De mon sommet, je peux admirer fièrement le beau travail de la planificatrice d’événement que j’ai engagée. Cela m’a permis de m’en laver les mains un peu trop en m’évitant le stress de préparation. Tout ce que j’avais à faire, c’était de me présenter le Jour J. Elle et son équipe, telles de petites fées, avaient su faire un travail exceptionnel en transformant une simple salle de Club de danse sociale (louée à un prix très cheap) en une élégante salle de réception. L’idée de louer ce Club de danse sociale n’était vraiment pas la mienne, mais une idée étonnamment géniale quand même!
Chers lecteurs, chères lectrices, ceci n’est pas un mariage, mais un simple baby-shower, une Aqiqa comme on dit en arabe, qu’on avait transformé en baby-wedding. Dans notre culture, la venue du premier bébé s’annonce et se fête à grande pompe. On célèbre autant la maman que le bébé. Bien que le bébé, lui, se pointe le nez pour seulement cinq minutes au cours de la soirée (le chanceux?).
Entre Hajja Fatima et Cheb Khaled
Bref, la soirée avance et la musique s’arrête pour la prière du Maghreb. D’ailleurs, quand j’ai su qu’on avait trouvé une femme DJ, je m’étais imaginé une jeune musulmane hipster. Quelle ne fut pas ma surprise quand je vis une madame, bien sérieuse, du style Hajja Fatima (femme d’un certain âge, un peu traditionnelle). C’est cool.
Qui dit pause-prière, dit aussi se repoudre le nez et se changer pour une deuxième robe, qui, à cause de la fatigue peut-être, me semble encore plus lourde et plus longue que la première. C’est très joli tout ça – les photos le prouvent – mais j’aurais été beaucoup plus confortable dans ma robe bleue en mousseline bien simple, achetée 40 $ chez Limité.
On reprend donc tranquillement avec une douce musique religieuse. Une musique choisie par ma maman, car, pour celle-ci, il n’était pas question de se déchaîner sur une musique dévergondée. Il fallait que ça reste religieux et « bien comme il faut ». Alors, là, on a dû négocier serré, moi et elle, pour un 50/50, mi-religieux, mi-moderne. Ça nous prend du Cheb Khaled (chanteur populaire) pour célébrer quand même!
Entre temps, des serveuses sortent le majestueux buffet. J’en reste agréablement surprise. J’ai voulu payer un service de buffet tout compris, mais « on » a finalement décidé autrement. C’est important le fait-maison! Il faut que ça fasse authentique (le beldi, comme on dit). En tous cas, ça sauve de l’argent en bibitte.
Le Comité des matantes ou l’amour d’une communauté
Pour prendre ce genre de décision, on s’était donc créé un comité (le « on » excluant, ici, vraiment la personne qui parle), un comité que j’appelle le « Comité-des-Matantes-de-la-Aqiqa ». Chacune prenant son rôle très au sérieux. La sincérité de leur engagement était belle à voir. Ma propre mère n’en revenait pas. Pour le menu, il y en avait pour tous les goûts. Sans oublier la fameuse table des pâtisseries marocaines (halwa), faites avec grand amour par toutes. Je tenais toutefois à ma sweet table (les macarons surtout) que la planificatrice d’événement s’est occupée d’organiser. Mettons que la Halwa Table lorgnait, avec dédain, la Sweet Table.
On me sauve enfin en m’escortant à ma table pour manger. Je peux enfin être parmi tout le monde plutôt que d’être le centre d’attention. De ma table, je peux voir la Negafa qui fait du henné pour celles qui le désirent, pendant que ma planificatrice d’événement et son équipe s’affairent à leurs tâches un peu partout dans la salle. Je ne peux pas croire que, pour un même événement, il y a deux types de planificatrice d’événement, une beldiya (traditonnelle) et une romiya (la moderne). En fait, pendant que les membres du Comité des Matantes cogitaient entre elles lors de planification, j’avais eu l’audace de créer mon propre comité, dont j’étais le seul membre, ou presque; ma pauvre maman étant tiraillée entre les deux.
Alors que je mange bien tranquillement, je remarque que la salle est bien remplie. Au départ, nous avions 50 invitées. Ensuite, il a fallu penser à inviter une telle qu’il ne fallait pas décevoir, à la voisine qui avait tout vu les préparatifs, à la grand-mère de l’autre, etc. Ma maman a cette qualité (ce défaut?) de dire oui à tout le monde, incapable de froisser les gens. C’est hshouma (honteux) qu’elle dit. À force de vouloir faire la paix dans le monde, on s’est ramassé avec 70 invitées. On a eu du fun pareil.
L’exquis repas terminé, la soirée tire tranquillement à sa fin. Les gens se préparent à partir et c’est à ce moment que nous décidons de présenter le bébé. On attend un peu que la musique soit moins forte, que les gens soient plus fatigués et rassasiés et que l’ambiance soit plus douce pour ne pas trop bousculer bébé. Nous en profitons pour faire une belle petite séance photo en famille et voilà tout. Je m’attends à ce que le petit passe de bras en bras, mais, fort heureusement, ça n’arrive pas. De là, nous nous apprêtons, enfin, à partir.
Ce fut une belle journée.
Ce que je retiens le plus, c’est la bonne humeur qui régnait dans la salle. Cet événement a permis de retrouver ce sens de la communauté; un sens presque en perdition. C’est bon de le retrouver de temps à autre. Je ressens la joie sincère et l’affection de toutes, surtout du cher Comité qui s’est un peu trop tant dévoué. C’est comme si j’avais plusieurs mamans qui m’ont toutes choyée. Je les aime toutes.
Quand j’y repense, trois ans plus tard, c’était une façon de nous dire : « On est tous là pour toi et le petit bébé et on sera toujours là ». C’était aussi une belle façon de célébrer la naissance de mon petit combattant. Il le mérite bien. Cette soirée nous a permis de recevoir toute l’énergie positive et tout l’amour dont on a eu besoin par la suite. Je ne l’oublie pas, tout cet amour reçu, car je sais que le Comité sera toujours là pour nous!