Je retourne dans mon pays

Takwa Souissi repars en Tunisie. Pour l’occasion, elle se remémore de ses impressions de l’an dernier, croquées sur le vif…

Chroniques Tunisiennes 2016- Là où je vide mon trop-plein d’impressions

1. La mer guérit tout 

J’ai lu quelque part que tous les problèmes du monde avaient une solution: l’eau salée. Celle des larmes, de la sueur ou de la mer.

Il y a un peu de tout ça, en Tunisie. Mais la place de la mer est centrale, viscérale. Elle nourrit le ventre et les yeux. La mer guérit tout.

Les maux physiques d’abord. « Va faire un saut dans l’eau, tu vas voir tu vas te sentir mieux ». Entre l’eau de rose et l’eau de mer, le trois quart des bobos disparaissent ici.

Mais ce que la mer guérit surtout, ce sont les maux de l’âme et du coeur.

Dans un pays où les plaisirs se font rares ou dispendieux, aller à la plage est une activité de premier choix. L’ennui n’existe pas, quand on a les pieds dans l’eau. Une eau qui est, par ailleurs, tout sauf routinière. Parfois calme et limpide, parfois sauvage et pleine d’algues et de bibittes, souvent clémente, parfois mortelle. Elle change de couleur au fil des heures. La nuit ou tôt le matin, sa musique est faite de silence et de vagues qui poussent à la réflexion. Le jour, ce sont les rires d’enfants et le papotage des madames qui l’accompagnent. L’ennui n’existe plus dès lors qu’on habite près de la mer.

Je les envie un peu, j’avoue.

2. Ce que Facebook ne dit pas 

« Tu as l’air de passer de super vacances! » M’ont écrit quelques amies en privé.
Oh c’est le cas! Je me gave le coeur, le ventre et les yeux de sons, saveurs, paysages et visages qui m’ont tant manqué. Je respire le soleil. Je regarde à travers les yeux de ma fille. Je prends le temps de vivre un peu, et c’est tellement un luxe de ce temps-là.

Mais let’s face it, tout n’est pas rose, même si c’est la couleur de lunettes que je préfère. Pour ceux qui doutent encore de la puissance du filtre des réseaux sociaux, voici un petit échantillon de behind the scenes un peu moins glorieux.

1) le vendeur de melons (ou de figues) qui me casse la tête à genre 6h du matin. God bless the guy mais Sérieux ton melon je vais l’acheter juste pour te le lancer dessus demain matin.

2) Dans le même ordre d’idée, les mariages qui finissent aux petites heures du matin et la symphonie de Klaxons qui accompagnent les mariés littéralement à tous les soirs.

3) les cafards. Les cocquerelles ont l’air cute à côté. Je suis toujours sur le qui-vive.

4) Le 24h qu’on a tous passés à vomir notre vie dans les premiers jours.

5) Voyager avec un bébé qui à la base ne fait pas tout à fait des nuits entières + combiner ça à un décalage de 5h = quel cache cernes me recommandez vous parce que le mien est de la schnoutte ça a l’air

6) Vivre sans micro-ondes ni lave-vaisselle et découvrir qu’on a vraiment des white problems.

7) La conduite, man. Je manque de faire une attaque de panique chaque fois qu’on est en auto. Sens unique ? Clignotant? Trois voies dans une ruelle? Y’a rien là!

Ti barra barka! 

(Photo: on a finalement succombé à l’appel du vendeur ambulant et acheté un panier de Hindi/figues de barbarie)

 

3. Les femmes d’ici

Les femmes d’ici sont inspirantes. Je dirais même qu’elles sont intimidantes.

Je n’ai pas besoin de chercher très loin pour trouver des modèles de femmes fortes. Des superwoman, des vraies, toutes générations confondues.

Les femmes d’ici travaillent fort. « Quand on entreprend quelque chose, il ne faut viser rien de moins que l’excellence », me disait la fille de la voisine pas plus tard que ce matin.

De ma grand-mère paternelle, aidante naturelle pour mon grand-père au lit depuis près d’une décennie.

À ma grand-mère maternelle, veuve à la langue bien pendue et à l’esprit vif, qui tient le fort de la maison familiale et réunit autour d’elle ses enfants, petits-enfants et arrière petits-enfants. 

En passant par ma tante, qui à l’aube de la cinquantaine apprend la couture et se lance dans l’entrepreneuriat avec une boutique de tissus ayant pignon sur rue.

Ou ma cousine, qui avec deux jeunes enfants décide de fonder sa proche crèche.

Ou mon autre tante, pédiatre dans le système public, qui voit des horreurs chez les enfants des autres puis doit rentrer prendre soin des siens.

Quelques exemples parmi des dizaines qui m’entourent.

Je ne sais pas comment elles font, et je ne suis pas placée pour entreprendre des analyses psycho-sociologico-médicales, mais les femmes d’ici sont freaking extraordinaires. Elles sont hilarantes, avec un sens de la répartie de la mort. Et non seulement elles ne craignent pas leurs ambitions professionnelles, mais elles demeurent des femmes aux valeurs traditionnelles.

Bien paraître reste primordial, même chez les femmes plus âgées. Les soins de peau, d’épilation, de cheveux font partie de la routine d’hygiène. Les vêtements sont repassés, les couleurs bien agencées.

Bien manger est également important, sans compter les tâches ménagères.Tout est bien fait, bien présenté, dans les règles de l’art.

Et évidemment, la famille passe avant tout.

Je suis fière de faire partie de cette lignée de femmes fortes, même si je n’envie pas la pression de la perfection dans laquelle elles baignent, par choix ou malgré elles. Mais ça, c’est une autre histoire.

 

4. Je retourne dans mon pays 

Je me suis évidemment déjà fait dire de « retourner chez nous ». Comme tout immigrant de deuxième génération, cette phrase me fait rire jaune.

Parfois, j’ai l’impression de n’appartenir nulle part. De vivre au mauvais endroit, au mauvais moment. D’être un tournesol dans un champ de lavande, déracinée, replantée, épanouie mais un peu perdue.

Quand je retourne en Tunisie j’ai, pendant quelques instants, ce vague espoir d’avoir trouvé « mon monde ». Mon « vrai » pays, là où techniquement j’aurais dû vivre. Je renoue avec toute ma famille et je passe inaperçue dans les rues. Mais il suffit que j’ouvre la bouche pour que l’océan qui nous sépare me rattrape. Un océan d’eau, d’idées et de valeurs. Sans oublier ce léger balbutiement qui me prend quand je ne trouve pas un mot en arabe.

Indéniablement, chez nous c’est le Québec. Pour le meilleur et pour le pire. Oui je laisse une partie de moi derrière, oui je suis déchirée, déracinée, replantée, mais je rentre chez nous

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1 Comments

  1. says: Fery

    Vraiment bien résumé une réalité qui nous poursuit beaucoup d’entres nous. Je me retrouve dans beaucoup d’élément. Merci pour le partage.

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