Le prix de l’immigration

Photos de chez ma grand-mère. Un album-héritage pour mes filles...

J’écris ces mots à contrecœur et avec nervosité.

Je regarde mes enfants jouer et je me rends à l’évidence : elles seront probablement la dernière génération à garder un lien direct avec le pays de mes parents, la Tunisie.

Je dis le pays de mes parents, parce que je suis moi-même immigrante de deuxième génération. J’ai grandi à Montréal, quelque part entre Côte-des-Neiges, Laval et un avion direction Tunis.

Ces étés passés à courir avec les poules chez ma grand-mère, à me faire niaiser par mon cousin parce que mon arabe est un peu approximatif, c’est peut-être mes souvenirs les plus précieux. Nous entasser à l’arrière d’une camionnette pour aller à la plage, manger du couscous tous ensemble dans un grand plat, veiller sur la terrasse embaumant le jasmin, écouter les histories abracadabrantes des matantes du Bled, c’est véritablement magique.

Avec un peu de chance, peut-être mes enfants connaitront-ils une parcelle de cette richesse. Ce sera inévitablement différent : leurs propres grands-parents, oncles, tantes et cousins seront au Québec. S’ils me suivront au pays d’origine pendant leur jeunesse, qu’est-ce qui les motivera réellement à garder cette tradition avec leurs propres enfants ? On s’entend, c’est pas donné une virée familiale en Afrique du nord. Payer une fortune pour aller à tous les ans/deux ans/trois ans visiter les enfants de la cousine de mama ? Lets face it… c’est bientôt fini.

Mon mari est québécois de souche, mais vraiment ça n’a pas d’importance. J’ai des amis dont les deux parents ont la même origine et dont un des deux membres a même lui-même grandi au bled. Ils en viennent au même constat. Un jour, dans pas très longtemps, nos pays d’origine ne seront qu’un lointain héritage. Des histoires de arrière-grand maman Takwa…

Nos enfants seront-ils pour autant québécois à 100% ? Non. Tant que du sang africain coulera dans leurs veines, tant que des signes « ostentatoires » seront affichés, tant que la langue arabe est somewhat préservée, tant que la foi est présente, ils seront entre deux identités. Ils auront peut-être ironiquement un statut culturel semblable à celui des québécois convertis…

C’est pareil pour tous les immigrants, peu importe leur origine. Amérique du sud, Asie, Moyen-Orient. C’est le prix de l’immigration. Et c’est correct. C’est Maktoub. J’adore le Québec et cette vie qui se crée, pleine d’opportunités et de diversité. Alhamdoullilah. Je n’échangerais ce destin pour rien au monde.

C’est crève-cœur quand même. J’aimerais tant transférer les images vivides, les sons et les odeurs qui forment une partie de mon être. J’essaie de le faire via les comptines pour enfant qui traverseront le temps, les plats, le folklore. Mais ouf, que c’est pâle. Que c’est risible et superficiel…

Être couchée sur les genoux de ma grand-mère, à 27 ans, quelque part à l’autre bout du monde, pendant qu’elle me raconte les mœurs d’une autre époque et d’un monde parallèle, ça ne se transfère pas.

Tant pis, on créera autre chose!

Je dédie ce texte à mes parents, qui ont réussi à m’élever avec un amour pour mes origines autant que pour leur pays d’accueil. Qui n’ont jamais été trop nationalistes, préférant miser sur l’importance de la foi et des valeurs, qui traversent les frontières. Sans doute avaient-ils vu venir ce que je réalise aujourd’hui. Ils m’ont offert le meilleur des deux mondes et je me sens infiniment privilégiée.

Je dédie ce texte à ma famille en Tunisie, certains ayant accès à Facebook, d’autres vivant encore dans ce monde parallèle que je ne peux accéder qu’en traversant les nuages. Et qui rend leur souvenir d’autant plus féerique.

Je dédie ce texte à mes enfants aussi, qui vaguement auront quelques souvenirs de leur héritage arabe mais devront quand même défendre cette identité quand la discrimination frappera à leur porte.

Mes p’tits cœurs culturellement modifiés.

 

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