Ma fille est une enfant de la mosquée

C’est le mois de ramadan, le soleil va bientôt se coucher. Je me prépare à sortir avec ma fille de presque trois ans. Sac à dos avec doudou, petites autos et autres jouets à partager (soigneusement sélectionnés en fonction de leur potentiel sonore) et nous voilà parties pour la mosquée. Au menu : repas, jeux, prières et sisterhood! Nous reviendrons tard dans la nuit. Demain je ne travaille pas, alors on en profite. Je m’attarderai surement pour discuter et boire du thé après les dernières prières, pendant que ma fille fera soudain preuve d’une énergie insoupçonnée, courant sur les tapis désertés et chantant à tue-tête, avant de s’effondrer de sommeil sur notre trajet du retour. « Allez maman on y va!» m’interpelle cette dernière, trépignante d’impatience et d’excitation.

Ma fille est une enfant de la mosquée. Ramadan, fêtes, prières, rencontres diverses ou activités plus ludiques pour petits, elle nous accompagne, son papa et moi, depuis sa naissance. Malgré le travail et nos multiples occupations et engagements, nous essayons d’y aller régulièrement, y compris dans ce que j’appelle les « périodes creuses ».

Mais comment tu fais. Tu as de la chance elle doit être plutôt tranquille. Moi j’aurais trop peur de déranger les adultes qui veulent profiter de ce moment de spiritualité. De toute façon il/elle dort depuis longtemps à cette heure-ci. Tu es courageuse, c’est trop fatiguant avec les enfants. Mon fils ne tient pas en place, impossible pour moi.

Sauf cas particuliers, les enfants qui fréquentent la mosquée de façon régulière ne deviennent pas des enfants qui y dérangent les adultes. Ils ne sont pas non plus calmes par nature, ils sont simplement habitués et sensibilisés au respect des lieux et des gens qui s’y trouvent. Comme les autres enfants, certains jours sont difficiles, et il faut alors savoir partir dans ces moments-là. Tout est une question d’équilibre et de juste milieu. Et le juste milieu ne se trouve certainement pas dans l’éradication des moins de six ans de la mosquée. Il ne se trouve pas non plus dans la culpabilisation de toute une génération de jeunes parents, au motif que certaines familles manquent franchement de savoir-vivre, ni en donnant une importance démesurée aux mauvaises expériences anecdotiques vécues par les uns et des autres. Parce que des enfants qui jouent ensembles lors de la rupture du jeûne, entourées d’ados et d’adultes de multiples âges et origines, çà n’a pas de prix.

Ma recette pour que l’expérience de la mosquée devienne agréable pour tous? Essayer. Et ré-essayer. Encore. Abandonne-t-on l’apprentissage de la propreté lorsque nos enfants ont des périodes de régression? Cesse-t-on de les nourrir lorsqu’ils persistent à renverser le contenu de leurs assiettes par terre? Non. On cherche, on invente, on innove, on ajuste, on encourage et on finit (tous!) par dépasser ces petits défis de la vie quotidienne. Je ne vois personnellement aucune raison de traiter la fréquentation de la mosquée, comme partie intégrante de l’éveil à la spiritualité, différemment. Je suis particulièrement sensible à cela en contexte de pays non-musulman, ne bénéficiant pas non plus de la présence d’une famille élargie au Québec. Les solutions et les astuces existent et il en va de la solidité et de l’avenir de nos communautés de les trouver et de les appliquer, collectivement et avec patience.

Les remarques négatives concernant la présence dérangeante des enfants sont généralement légions pendant le ramadan, période d’achalandage et de sursaut spirituel annuel chez les musulmans. Sont-elles faites aux enfants qui fréquentent la mosquée régulièrement? Rarement. Les mêmes remarques pourraient-elles être faites à des adultes peu soucieux de l’étiquette des lieux et du moment? Certainement!  Sont-elles parfois faites par des adultes qui ne fréquentent la mosquée qu’une seule fois par an? Don’t get me started on this.

Selon moi, le problème n’est pas que les jeunes enfants vont à la mosquée, c’est qu’ils y vont trop peu. Ils sont pourtant aussi nos frères et sœurs dans l’Islam et ils y ont leur place à part entière.

Ma fille est une enfant de la mosquée. Je souhaite qu’elle puisse plus tard s’y épanouir intellectuellement, spirituellement et socialement. Qu’elle se sente libre d’y apprendre, de critiquer et de contester si besoin. Que la mosquée ne soit pas un lieu où elle se sente obligée d’ajuster sa personnalité, si ce n’est dans un processus de constante amélioration d’elle-même et des qualités humaines qu’elle cherchera alors à développer.

Ils sont encore jeunes me diront certains, rien ne presse. À trop attendre pourtant, le risque est grand de s’oublier dans le tourbillon incessant de nos vies.

Et le sommeil dans tout çà? Et la routine que certains se sont donnés tant de mal à installer? Je suis personnellement profondément convaincue que le sommeil, bien qu’important, n’est pas tout, comme le souligne magnifiquement l’auteure Mei-Ling Hopgood, en référence à certaines cultures où il est commun de coucher les enfants tard pour leur permettre de participer aux fêtes et activités sociales :

« La diversité, de par le monde, des postulats face à la question du sommeil semble indiquer que le « schéma idéal » n’existe pas (…) pour l’enfant, il ne s’agit là que d’une des composantes d’un ensemble de relations au monde, à ses parents et à lui-même, qui font de lui ce qu’il est et ce qu’il deviendra ».

Ma fille, comme beaucoup d’autres, est une enfant de la mosquée et elle y est chez elle. Venez donc nous y rejoindre.

Et soyez les bienvenu(e)s chez vous.

 

 

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