Chaque personne mène un combat intérieur qui est invisible aux autres. Ce n’est pas rien quand on sait qu’un Canadien sur six souffrira d’une maladie mentale au courant de sa vie 1. Sachant cela, je ne peux passer sous silence le fait qu’aujourd’hui encore plus que jamais, notre communauté à besoin d’être sensibilisée à cette réalité que malheureusement trop de ses membres cachent.
***
En 2012, alors que Lilyann avait 18 mois, j’ai été diagnostiquée avec la dépression post-partum, ou dépression tout court. Un long processus de guérison s’en est suivi, mais le premier pas s’est certainement fait lorsque j’ai accepté que j’avais un problème et que j’avais besoin d’aide.
La dépression, c’est comme une mauvaise herbe qui grandit dans ton corps. Elle est sournoise au début ; elle ressemble à une herbe comme toutes les autres. Elle s’installe d’abord dans ta tête et fait germer une petite idée noire : tiens, par exemple, ton mari te tape particulièrement sur les nerfs aujourd’hui. Puis elle grossit : ta mère t’énerve, ton père ne comprend rien, tu ne supportes plus ta sœur ni ton frère, etc. Elle installe ses racines profondément, tellement profondément que tu t’éloignes de ta famille, de tes amis, de ton mari. Elle te parle, cette mauvaise herbe, parce qu’au début tu lui fais confiance, c’est une belle petite fleur qui semble s’épanouir, alors tu l’écoutes : « Ah oui, tu as raison ! Il m’a dit ça, et a fait ça ! » Puis, elle s’en prend à ta fille, celle que tu aimes tant : « Ah ! si elle n’était pas là, les choses que tu pourrais accomplir, les endroits que tu pourrais visiter… »
Chaque jour, lentement, mais sûrement, elle prend de plus en plus d’espace. Tellement de place, qu’au bout d’un certain temps, toutes les personnes qui t’entourent sont devenues tes ennemis, du moins, c’est ainsi que tu les vois. Ils sont responsables de ta vie de malheur, ils n’ont pas à faire les sacrifices que toi tu fais.
Ensuite, la petite fleur s’installe dans ton cœur. Là, la douleur commence réellement. Tu as mal, mais tu ne sais pas pourquoi. C’est comme si elle enroulait ses racines autour de ton cœur et serrait si fort qu’il allait exploser. Ça fait mal, c’est douloureux, personne ne peut t’aider ; tu as éloigné tout le monde. Tu t’écroules de douleur, en pleurs, repliée sur toi-même, te serrant aussi fort que tu peux, espérant que la douleur passe le plus vite possible. Alors la mauvaise herbe rit, d’un rire diabolique. Enfin, elle a pris possession de tous tes moyens. Alors tu n’as plus l’énergie de te lever le matin, plus envie d’aller au travail, même plus envie de t’occuper de ton enfant. Elle a empoisonné ton âme, tout est noir autour de toi, tu n’es plus fonctionnelle. Tu te rends alors compte que la belle petite fleur jaune est en fait une mauvaise herbe. Tu essaies de la couper, de l’empoisonner, mais elle est devenue trop grosse. Un jour, tu parviens enfin à l’arracher, ça aura pris toutes tes forces, tu es épuisée, mais fière de toi. Le lendemain, elle repousse, encore plus forte que la veille.
C’est ainsi que ça s’est déroulé pour moi. En décembre 2012, après 4 mois à souffrir (sans trop savoir pourquoi), j’ai enfin décidé de demander de l’aide. S’en sont suivis neuf mois à consulter régulièrement un psychologue, neuf mois au bout desquels j’ai été complètement guérie… ou presque.
Toutefois, la route ne fut pas sans embûches. Pendant 3 mois après mon diagnostic, j’avais complètement perdu l’envie d’exister, je fantasmais sur l’idée de disparaître : je dormais tout le temps. Puis, j’ai eu un déclic, mais j’ai dû mettre les bouchées doubles. Chaque jour, il me fallait accomplir une action, un petit but atteignable : aller faire l’épicerie aujourd’hui, prendre une douche demain, voir une amie le jeudi, etc. Certains jours, je n’avais pas l’énergie de faire quoi que ce soit, alors je restais au lit toute la journée. D’autres fois, j’accomplissais énormément de choses, mais j’étais exténuée à la fin de telles journées.
Tu as mal, mais tu ne sais pas pourquoi. C’est comme si elle enroulait ses racines autour de ton cœur et serrait si fort qu’il allait exploser.
Avec la dépression sont venues les crises de panique, presque chaque soir. Une sensation horrible de manque d’air, comme si on me plaçait un sac de plastique sur la tête et qu’un éléphant s’était assis sur ma poitrine. J’étouffais, totalement paniquée, j’avais mal à l’âme. Mon mari me soutenait énormément, mais il était aussi le bouc émissaire de mes crises, puisque je lui en voulais tellement de ne pas souffrir comme moi je souffrais. Il a parfois fallu que ma mère intervienne, parce que je ne voulais rien savoir de lui, je refusais qu’il s’approche de moi, ou tout simplement parce que les bras de maman sont les plus rassurants.
Grâce à la psychologue que je consultais durant ma dépression, j’ai réussi à identifier les signaux d’alarme, à gérer les états de crise, à aider mon entourage à comprendre ma maladie et à mieux m’accompagner au travers de celle-ci.
Aujourd’hui, j’ai réussi à arracher cette mauvaise herbe et à stériliser mon corps. Par contre, elle a laissé quelques traces. En effet, je vis aujourd’hui avec des troubles anxieux et je suis toujours suivie par ma psychologue. Avec elle, j’arrive à mettre des mots sur mes déclencheurs, à gérer mes crises d’anxiété, à faire une rétroaction sur comment j’aurais pu mieux gérer la dernière.
J’ai d’abord hésité avant d’écrire cet article, pour ensuite me raviser, puisque partager mon histoire est à mon avis, la meilleure façon de briser les tabous et de faire tomber les murs qui entourent ce sujet. J’ai passé par-dessus la honte il y a bien longtemps quand j’ai décidé d’en parler, et je tiens à remercier les gens qui m’ont accompagnée durant mon processus de guérison. Par contre, certaines personnes de mon entourage ne savent toujours pas que j’ai vécu une dépression ; ce sont des gens qui associent la maladie mentale à un manque de foi en Dieu
***
J’ai récemment lu le livre de Jérémy Demay, La Liste, dans lequel il explique que lorsqu’on souffre de dépression on a deux choix : mourir (intérieurement) ou renaître. Pendant mon processus de guérison, j’ai opté pour la deuxième option. Et renaître, c’est exactement ce sentiment que je ressens chaque jour. Je me suis retrouvée en tant que femme émancipée suite à ma dépression. Je sais ce que je veux et surtout ce que je ne veux pas. J’ai vu sur qui je peux vraiment compter lorsque je suis à mon plus bas. Je connais mes limites. J’ai appris à dire non, à me faire respecter et à ME respecter. Surtout, j’ai appris à reconnaître la zone grise : tout n’est pas noir ou blanc dans la vie.
1 http://www.cihr-irsc.gc.ca/f/47914.html