Lettre à ma fille, debout devant son miroir

Ma chère grande fille,

Mon bébé d’amour, je m’excuse. Tu es née dans une société dans laquelle on te qualifiera encore par ta beauté, malgré tous les efforts que font les femmes pour être définies autrement. Papa et moi essayons tant bien que mal de t’encourager à voir autre chose que ton apparence physique, les gens qui te voient ne s’arrêtent qu’à ça. Tellement, que tu t’observes chaque matin avant de sortir pour l’école dans le miroir. Tu me demandes souvent de replacer tes cheveux, ou de ne pas porter tel ou tel morceau de vêtement sous prétexte que tu as l’air trop grosse dedans. J’aimerais tant qu’ils voient la petite fille intelligente, douce, curieuse, taquine, allumée, ricaneuse, débrouillarde, autonome, indépendante, têtue que je côtoie à la maison. Mais tout ce qu’ils voient, ce sont tes longs cheveux châtains. J’aimerais tant qu’ils sachent que tu parles trois langues, que tu sais compter jusqu’à 50, que ce que tu préfères c’est de lire un livre dans mon lit avec papa et t’y endormir par la suite, mais ils ne voient que ton corps svelte. J’aimerais tant qu’ils te complimentent sur tes figures en gymnastique, ta capacité à colorier sans dépasser les lignes, ton talent au piano, ton rire contagieux, mais ils ne s’arrêtent qu’à tes grands yeux verts.

Je m’excuse ma poulette. Parce que non seulement lorsqu’ils t’adressent un compliment, c’est toujours à propos de ton physique, mais qu’en plus, parfois ils t’ignorent complètement. Tu l’as remarqué, toi aussi, je le sais. Je vois tes yeux, à l’épicerie, au centre d’achat, ou même parfois, lors de réunions de famille et amis, observer les adultes, les supplier du regard pour qu’ils te remarquent. Mais, ma chérie, parfois, sans le vouloir, même les adultes sont imbéciles. Ils ne voient que la beauté de ta petite sœur, et toi, telle une publicité qu’on est habitués de voir toujours au même endroit, tu restes en arrière plan, sans qu’on ne t’accorde d’importance. Alors tu es déçue, blessée, d’avoir souri bêtement en attendant que quelqu’un te dise quelque chose, un simple bonjour. Mais rien. Ta sœur a tout eu : le sourire, le bonjour, le compliment. Il ne faut pas lui en vouloir, ce n’est clairement pas de sa faute. C’est le syndrôme du nouveau. On est toujours attiré par ce qui est neuf. Toi, ma grande fille de 5 ans, tu es considérée comme du vieux stock. Ta soeur le sera aussi dans quelques temps, ne t’en fais pas. En attendant, c’est toi qui a de la peine, et c’est moi qui a la rage au cœur de devoir te consoler pour la bêtise adulte. Excuse moi de ne pas avoir le cran de leur crier des bêtises. J’aimerais tellement leur dire de te remarquer, que ce qu’ils font est en train de sculpter la future jeune femme que tu deviendras, je reste de marbre, figée par la connerie de l’humain.

Ces jours-ci, je suis de plus en plus à l’affût des petites filles qui nous entoure. Papa, l’autre jour, est rentré à la maison énervé (ce qui est surprenant, tu connais ton père!) Il avait passé un moment au centre d’achat et était absolument outré par l’accoutrement des jeunes filles. On s’est assis pour en discuter, parce que clairement il était très dérangé par ce qu’il avait vu. Mais j’ai vu au-delà de ça. C’est vrai qu’il était dérangé par les micros shorts que les jeunes filles de 10-12 ans portent de nos jours, mais ce qu’il l’a atteint encore plus, c’est toi. Il t’imagine, un jour, avoir cet âge, et il a peur. Nous avons peur. Devant ce monstre qu’est l’apparence physique, nous, en tant que parents, cherchons à savoir comment te protéger des commentaires des autres? Comment te protéger de cette société hypersexualisée ? Et attention, je parle de la société québécoise, notre communauté est loin d’être meilleure….je t’explique.

Combien de fois, parce que tu portes un hijab pour jouer, on te passe le commentaire de ‘’ohhh combien tu es jolie!!!!!!’’. Tu avais 3 ans, et tu m’as dit ‘’Maman, je veux mettre le hijab’’. Le hijab, c’est comme les micros-shorts pour papa et moi. C’est non, tant que tu ne seras pas en âge de comprendre ce que tu portes. Je déteste cette manie qu’a notre communauté à vouloir vous encourager dès un jeune âge à porter un vêtement si adulte. Même à 10 ans, ce sera non, tout comme pour les micro shorts. Mais, je sais que ces gens ne font pas ça pour mal faire. Tout comme les gens qui me lancent à la blague ‘’donc, tu me la réserve pour mon fils?’’ Ils pensent me complimenter, mais pour moi, c’est d’enrichir un stéréotype, une plaie contre laquelle certaines de nos sœurs se battent encore aujourd’hui. En plus, dans notre communauté, certains traits physiques sont perçus comme le summum de la beauté, mais pourquoi? Pourquoi dénigrer une petite fille à sa sœur parce qu’une est brune et l’autre blonde? Je t’apprends chaque jour à voir que chaque personne est belle à sa façon.

On essaie donc, papa et moi, chaque jour, de t’encourager à te dépasser, à accomplir de nouvelles choses, à découvrir des talents cachés. On essaie surtout de te complimenter sur autre chose que ton physique : tu accomplies tellement dans une journée, ça ne devrait pas être trop difficile. Et pourtant…on tombe parfois dans le même piège, parce que, dans un moment d’admiration pour l’extraordinaire petite fille que nous avons devant nous, devant l’incroyable réalisation que tu es notre enfant, notre fierté, on ne peut s’empêcher que de te dire à quel point tu es magnifique, que tu rayonnes, que tu es exceptionnelle.

Je termine donc cette lettre, mon ange, en t’écrivant mes souhaits pour ta vie. Je veux que tu t’épanouisses, que tu étudies, que tu voyages, que tu aimes, que tu expérimentes. Viendront ensuite, je l’espère, le mariage et les enfants. Je veux que tu deviennes une femme indépendante, forte, confiante, un modèle pour notre communauté. Je ne veux jamais que tu doutes de toi parce que tu es une femme. Je ne veux jamais que tu doutes de tes capacités : tout ce qu’un homme fait tu es capable de faire. Je veux que tes choix reposent sur des réflexions, ne laisse pas les autres te dicter quoi faire. J’espère t’enseigner le bien du mal, et te donner les outils nécessaires pour que tu puisses le distinguer l’un de l’autre facilement. Finalement, je ne veux jamais que tu penses que ta valeur s’arrête à ton image. Tu es une petite fille exceptionnelle, les gens doivent apprendre à le voir, tout comme toi tu dois apprendre à le montrer. J’Espère donc que papa et moi serons capables de t’enseigner à le faire.

Je t’aime mon amour,

Maman

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